RDC: Le Président Tshisekedi veut une démocratie plus forte, avec des majorités plus claires...C’est normal que le FCC joue son rôle dans l’opposition (Nicolas Kazadi )
Invité de la Radio France internationale, Nicolas Kazadi, Ambassadeur Itinérant du Président de la république Félix Tshisekedi a répondu aux préoccupations de Rfi dans cette interview :
RFI: deux ans après l’arrivée au pouvoir du président Félix Tshisekedi, est-ce que vous estimez que la rupture avec son prédécesseur Joseph Kabila est consommée ?
Nicolas Kazadi : si vous parlez la rupture dans le cadre de l’accord FCC-Cach, elle est clairement consommée…
Mais vous n’avez pas encore le contrôle du bureau de l’Assemblée nationale, c’est encore un bureau provisoire, il y a encore le gouvernement Ilunga…
Vous êtes au courant qu’il y a un grand processus qui est en cours et puis la situation est assez complexe parce que ce sont les mêmes acteurs qui se recomposent et qu’on retrouvera mais dans le cadre d’une nouvelle vision, d’une nouvelle approche. Ce nouveau groupe, élargi à d’autres, qui n’étaient pas dans la majorité, montre qu’on est en train simplement de donner l’occasion de donner un sursaut national à la classe politique pour redresser les choses. Il y aura toujours une minorité de gens qui refuseront d’adhérer à l’Union sacrée pour la nation et c’est d’ailleurs bien pour la démocratie. Mais ils sont clairement minoritaires et on retrouvera certainement parmi eux ceux qui ont rendu impossible le fonctionnement de la coalition FCC-Cach.
Mais est-ce que ce seront des alliés à part entière ou finalement il faudra que ce soit des soldats alignés derrière la vision du chef de l’Etat ?
Non, le chef de l’Etat a été clair ; il a martelé le 23 octobre et le 6 décembre le cadre dans lequel il inscrivait son action et il a été suffisamment détaillé pour donner l’occasion à la classe politique d’adhérer en pleine connaissance de cause. Il a détaillé les principaux éléments sur lesquels on pouvait travailler pour la prochaine mandature, on ne peut être plus clair que ça.
Dans le dernier discours du président, il n’y avait pas de référence aux réformes électorales. Est-ce que cette question pourtant cruciale n’est pas en train de disparaître derrière la crise politique qui oppose Cach et le FCC ?
Non, absolument pas ! Le Président venait d’en parler quelques jours auparavant (le 6 décembre), il l’avait dit dans son discours qui marquait la fin des consultations. Il a mentionné le recensement qui doit être fait dans les meilleurs délais. Depuis (19)84, il n’y a plus eu de recensement dans ce pays. Il a mentionné l’identification : ça fait plus de trente ans qu’on n’a plus remis de cartes d’identité pour les citoyens dans ce pays et puis il a mentionné l’enrôlement électoral.
Ce sont trois temps importants qui vont rendre les prochaines élections beaucoup plus sûres, beaucoup plus fiables. Et ensuite il y a les questions plus politiques que sont la loi électorale et les modes de scrutin qui seront débattus par les députés. Mais là également, il a donné le cadre en souhaitant qu’il y ait une démocratie plus forte, avec des majorités plus claires. Et que la loi électorale ne fasse pas la promotion de petits partis, ne fasse pas la promotion de l’ethnicisation de la politique.
Vos anciens alliés du FCC vous accusent de ne pas respecter la démocratie, de ne pas respecter l’état de droit et de violer toutes ces règles pour prendre le pouvoir. Que répondez-vous ?
Mais de qui parlez-vous ? On parle de plus de 300 députés, presque 400 qui ont rejoint l’Union sacrée pour la nation. De qui parlez-vous exactement ?
Du FCC de Joseph Kabila ! En l’occurrence, ses partisans disent clairement que pour arriver à démettre le Premier ministre Sylvestre Ilunga et son gouvernement, la procédure employée sera illégale. Qu’une partie de ce qui est fait à l’Assemblée nationale par le bureau d’âge, le bureau provisoire, est illégal.
C’est normal qu’ils jouent leur rôle dans l’opposition. Que voulez-vous qu’on dise ? Qu’ils aillent devant les instances pour se plaindre de ce qu’ils considèrent comme illégal. Mais ce qui est sûr, c’est que l’écrasante majorité de la classe politique et de l’opinion publique est derrière l’Union sacrée pour la nation et la nouvelle donne imprimée par le chef de l’État.
Comment vous espérez faire du neuf avec du vieux ? Puisque vous-même, vous le dites, il va y avoir des cadres de l’ancien régime qui vont être recyclés dans cette union sacrée, qu’au niveau des forces de sécurité, il n’y a pas eu de grands changements et qu’il y a toujours des généraux qui sont accusés de violations ? Comment vous espérez faire le changement sans changer les acteurs qui ont fait l’histoire du Congo ces trente dernières années.
Et bien, il faut tirer les leçons de l’expérience passée. Souvenez-vous de ce balayage qui a eu lieu en (19)97 à la fin du régime de Mobutu. On a pensé qu’il fallait balayer tout le monde et recommencer et on a vu les résultats... Le plus important, et c’est ça la force de l’action du président Tshisekedi, c’est de conduire les gens à changer d’eux-mêmes de manière à ce que nous changions ensemble. C’est un exercice complexe, très fort qui demande un fort leadership. Et je crois que pour l’instant, il le mène très bien.
Je peux vous donner quelques exemples. Pour ce qui est de la police par exemple. C’est la même police qui a pourchassé les combattants (NDLR : membres de l’UDPS, actuel parti présidentiel), les militants des partis politiques qui se battaient pour la démocratie et les élections jusqu’en 2018 mais aujourd’hui, sur ce ce plan-là, c’est clair que ce sont des mauvaises pratiques qui ont totalement disparu.
Ce n’est pas complètement l’avis des organisations de défense des droits de l’homme, que ce soit pour les journalistes, les activistes, les voix dissidentes. Elles constatent que sur la dernière année, il y a plutôt eu une restriction de l’espace politique, que c’est aussi à cause de la présidence et notamment de l’Agence nationale des renseignements.
Madame, on part de plusieurs décennies de mauvaises pratiques. On ne va pas changer intégralement les gens en quelques mois ou quelques années. Mais ce qui est clair, c’est qu’il y a un changement important. Je vous ai donné l’exemple de la police. Il y a la justice, qui n’est pas encore parfaite, mais qui a compris aujourd’hui à cause du leadership politique qu’il fallait s’orienter différemment et ces pratiques et ses pratiques sont en train d’évoluer.
Où en est-on des négociations avec le Fonds monétaire international ? Le président espérait la signature d’un accord-programme d’ici la fin de l’année dernière et aujourd’hui on a l’impression que ça n’avance plus.
Non, non, ça avance. Il y a un processus politique en cours... et qui ne permet pas d’avancer au rythme voulu en ce qui concerne les discussions avec le Fonds monétaire international. Le dialogue est en cours ; la semaine prochaine, il y aura déjà quelques actions en prévision d’une mission du FMI qui va suivre très bientôt. Et ces choses vont s’accélérer sans doute avec le nouveau gouvernement. Parce que résolument la décision est prise de continuer avec le FMI (et) de permettre au pays de continuer à bénéficier d’une bonne collaboration avec les institutions financières internationales et les bailleurs de fonds. Sachez qu’entre février 2019 et aujourd’hui, les montants d’aide qu’on a reçus sont sans précédent dans l’histoire de ce pays.
Ces bailleurs de fonds, ils ont été très présents sur les six premiers mois de l’année dernière, beaucoup moins sur ces six derniers mois, notamment le FMI et la Banque mondiale. C’est parce qu’aussi, ils posent des conditions de transparence qui pour l’instant n’ont pas été rencontrées à tous les niveaux. Il y a quelques avancées en termes de transparence mais pas partout.
Non, nous sommes dans un progrès en matière de transparence. Mais il est clair que tout n’est pas encore parfait. Mais cela n’a pas empêché le FMI et la Banque mondiale d’octroyer une assistance particulière pour aider le pays à faire face au Covid. Même la Banque africaine de développement. Mais il y a eu quelques incidents justement dans le cadre de la lutte contre la corruption en ce qui concerne le contrôle de la paie des enseignants à travers le Secope (service de contrôle et de paie des enseignants, NDLR) et cela a ralenti certains décaissements, notamment de la Banque mondiale. Mais ce n’est que normal et ça montre que nous continuons de nous préoccuper de ces questions de corruption.
Sur la lutte contre la corruption, il y a un an, on commençait à parler des détournements dans le cadre du programme des 100 jours du chef de l’Etat. Un an après, on se rend compte que la plupart des gens arrêtés dans le cadre de ces procédures ont été libérés, sauf l’ancien directeur de cabinet du président, Vital Kamerhe et l’homme d’affaires libanais Samy Jammal.
Non, vous faites de la caricature ! Il y a des gens qui ont été acquittés dans le cadre de ces procédures. Et la justice, elle est à charge et à décharge. Il en a d’autres qui ont été condamnés et ensuite il y a des éléments nouveaux qui ont conduit à leur libération. Le reste, ils sont toujours emprisonnés et nous savons que nous venons de loin dans un contexte difficile. Il faut apprendre à faire confiance et aider la justice à faire bien et sereinement. Quand on y met trop d’émotions, on gêne une bonne administration de la justice.
Parce qu’il y a des enquêtes par exemple de l’Inspection générale des finances qui font l’objet de procédures, d’autres qui n’en deviennent pas. Comment vous expliquez qu’il y a des dossiers qui avancent très vite et d’autres qui sont finalement presque oubliés.
Mais madame, même dans votre propre pays, il y a des affaires qui concernent des hommes politiques qui datent d’il y a dix ans, quinze ans, dont les procès n’ont même pas encore démarré...
Pourquoi des hommes d’affaires comme l’Israélien Dan Gertler, l’Indien Harish Jagtani ne font pas l’objet de procédures quand il y a eu beaucoup de dénonciations à leur encontre.
Ecoutez, laissez le temps au temps. Ce sont des questions sensibles qui doivent être gérées sérieusement avec des éléments probants et ne doivent pas être gérées au rythme des rumeurs et des titres de journaux. Donc laissez le temps au temps, nous sommes dans un gros effort de redressement et nous venons d’une situation où la corruption était généralisée. Alors faut-il tout arrêter, mettre tout le monde en prison et arrêter de fonctionner ? Non, il faut sérier les choses et les attaquer les unes après les autres en fonction de leur priorité, de leur effet. Il faut beaucoup de sagesse et des capacités pour faire tout ça. Il faut des gens pour suivre les dossiers, il n’y en a pas à l’infini. Et il faut surtout des dossiers bien montés.
Si vous n’obtenez pas de l’assistance internationale et notamment du FMI et de la Banque mondiale dans les prochains mois, pensez-vous que la situation économique peut tenir en RDC, notamment quand on voit qu’on est à deux semaines de réserves internationales de change ?
Il est vrai que la situation est difficile, pas seulement pour la RDC, mais pour l’ensemble de la planète. Heureusement que la solidarité internationale se met en place et que les institutions financières internationales comme le Fonds monétaire l’ont bien compris. Il y a des discussions à plusieurs niveaux, y compris au niveau du G20 pour un allègement de la dette. Mais c’est vrai que nous avons besoin de surmonter la crise Covid, de relancer définitivement notre secteur productif et de continuer surtout de mobiliser de l’impôt.
Notre grand défi est là. On a une grande défaillance en ce qui concerne la mobilisation de l’impôt et c’est notre plus grand défi pour la période qui vient. Mais on a toutes les raisons d’être positifs car ce dialogue que nous avons avec le FMI, la Banque mondiale et d’autres, nous permet de travailler sur nos finances publiques et la réforme de nos finances publiques et d’attirer davantage d’investisseurs. Nous irons encore plus loin dans cette direction.
Interview RFI
Redaction
Eustache Kaving/oeildupeuple.com
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